Les Helvètes ont enchaîné victoires et podiums en «2e division», mais l’histoire récente doit nous inviter à la prudence: ce n’est pas parce qu’un skieur cartonne en Coupe d’Europe qu’il va percer en Coupe du monde. Démonstration.
Il y a 11 ans, Paul Accola déplorait le manque de relève dans le camp suisse dans les colonnes de Blick. L’ancien champion des Grisons peut désormais économiser sa salive. La Suisse a réalisé des prouesses en Coupe du monde cette saison mais, surtout, elle a fait un carton à l’échelon inférieur, en Coupe d’Europe, trustant les victoires et les podiums. C’est bien simple: les espoirs masculins de Swiss ski ont raflé tous les classements généraux, à l’exception de celui du slalom.
Les finales se sont déroulées à Narvik, en Norvège, et Josua Mettler en est ressorti grand vainqueur de la saison. L’espoir du Toggenburg, cinq départs de Coupe du monde pour un 20e rang comme meilleur résultat, a devancé Marco Kohler et le Valaisan Arnaud Boisset. Un triplé suisse, qui aurait même pu se transformer en quadruplé si Gunleiksrud n’avait pas gâché (un poil) la razzia helvétique.
Le général de la Coupe d’EuropeLa domination a été si écrasante que les athlètes de Swiss ski n’ont pas fait dans la demi-mesure: un doublé en descente (Marc Kohler devant Franjo Von Allmen), un doublé en super-G (Arnaud Boisset devant Gilles Roulin) et même un triplé en slalom géant (Josua Mettler devant Livio Simonet et Marco Fischbacher).
Le classement général du géantIl n’y a qu’en slalom que les résultats n’ont pas suivi. Tanguy Nef, en délicatesse lors d’une saison marquée par les sorties de piste à répétition, s’est tout de même glissé au quatrième rang de la discipline.
La victoire Europe n’est pas un passeport pour la gloire
Des résultats probants qui réjouissent. Sauf que gagner des courses en Coupe d’Europe n’est pas une assurance pour la suite. Si des skieurs ont brillé en «deuxième division», il y a un saut à franchir pour bâtir une carrière au plus haut niveau. Depuis l’an 2000, des coureurs tels que Martin Marinac, vainqueur du général en 2002, Norbert Holzknecht (2003), Michael Gufler (2006), Peter Struger (2007), Christian Spescha (2010), Bjoernar Neteland (2016), Simon Mauberger (2019) ou plus récemment Maximilian Lahnsteiner (2021) n’ont pas percé au plus haut niveau.
Chez les juniors, mieux vaut cartonner en slalom qu’en descente
De nombreux skieurs suisses n’ont pas réussi à placer leurs spatules en Coupe du monde. Les exemples ne manquent pas: Christian Spescha, Beni Hofer, Cornel Züger, Nils Mani se sont battus (et essoufflés) sur les plus belles pentes du cirque blanc. Malgré quelques coups d’éclat, ce vivier de coureurs n’a jamais accroché le moindre podium.
Le délicat passage en Coupe du monde
Ralph Weber, toujours en activité, incarne à lui seul toute la difficulté de franchir un palier supplémentaire. Le talentueux descendeur de Flumserberg peine à se faire une place chez les «grands», malgré des victoires à foison en Coupe d’Europe.
Car s’imposer parmi les meilleurs skieurs du monde passe par un apprentissage harassant, surtout pour les spécialistes de vitesse, et par une maîtrise à tous les étages.
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Les changements sont minimes. Ce sont les détails qui font la différence, car les skieurs d’un excellent niveau en Coupe d’Europe sont tout à fait capables de régater en Coupe du monde. Alors pourquoi est-ce si difficile de s’y imposer? Parce que la régularité reste le maître mot dans le monde du sport professionnel; les meilleurs skieurs ont cette faculté à enchaîner plusieurs manches sur des tracés très exigeants et avec un piquetage de très haut niveau.
Le temps est compté
Le slalomeur Tanguy Nef expliquait récemment au micro de la RTS que les enjeux et la pression sont des facteurs non-négligeables qui n’existent pas, ou peu, en Coupe d’Europe. Si les pistes sont plus exigeantes, les coureurs donnent tout pour accrocher un gros résultat. «On aime dire que la Coupe d’Europe est plus difficile que la Coupe du monde», conclut le Genevois. La raison est simple: les skieurs sont conscients que leur temps est compté, qu’il faut rapidement percer pour embêter les Odermatt et Kilde. Et surtout, pour pouvoir décemment vivre de leur sport.
Une lutte féroce qui dégage une densité de talents; autant d’espoirs qui cravachent et bataillent sur de nombreux sites (34 courses au total) et dans des épreuves qui s’accumulent, sans beaucoup de public au bord des pistes ni de grosses primes à la clé. C’est le prix à payer pour pouvoir rêver un jour de Coupe du monde, tout en sachant que ce tremplin vers le paradis peut aussi se transformer en virage vers l’anonymat.