En France, le père des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon, joue la diatribe, et ses partisans avec lui, contre la majorité macroniste. Jeu risqué, qui respectabilise Marine Le Pen en vue de la prochaine présidentielle.
Le «Queen Marine» vogue-t-il vers l’Elysée? En jargon journalistique, c’est ce qu’on appelle un «marronnier», un de ces sujets incontournables et saisonniers, comme la Saint-Martin en novembre en Ajoie ou le gel au printemps dans le vignoble romand. Marine Le Pen peut-elle gagner la prochaine présidentielle, en 2027? Beaucoup de choses peuvent arriver d’ici là, c’est certain. Il n’empêche, la question se pose. D’autant plus que le principal concurrent de Marine Le Pen dans l’opposition à Emmanuel Macron semble travailler à la perte de son propre camp. Vous l’avez reconnu? Jean-Luc Mélenchon.
Depuis leur arrivée remarquée à l’Assemblée nationale, les députés de La France insoumise (LFI), le parti mélenchonien grossi par ses alliances à gauche, la jouent agitation permanente. C’est habile pour passer à la télé, c’est rédhibitoire pour accéder au pouvoir. Les Français n’ont encore jamais élu un candidat qui ne leur paraissait pas convenable, le côté un brin fou-fou d’Emmanuel Macron ayant de faux airs d’exception.
Marine Le Pen encaisse les dividendes des faux-pas de ses adversaires – cette femme a-t-elle un jour réellement dû faire campagne? Avec Jean-Luc Mélenchon et sa troupe, ce ne sont plus des faux-pas mais des chutes dans l’escalator qu’on se repasse sur son smartphone. Comme tout le monde, Marine regarde Jean-Luc tomber. Jean-Luc ou l’un des siens, c’est tout comme.
Le pied sur la «tête» du ministre
Pas plus tard que la semaine dernière, Thomas Portes, élu LFI de la Seine-Saint-Denis, un département-clé pour le parti, a eu un comportement qui lui vaut une exclusion pendant quinze jours de l’Assemblée nationale, assortie d’une diminution de moitié de ses indemnités parlementaires. Qu’a-t-il donc fait?
Le 9 février, en pleine contestation de la réforme des retraites voulue par la majorité présidentielle, Thomas Portes, doudoune rouge vif, Nike blanche du dimanche, écharpe tricolore de député en bandoulière, a publié sur Twitter une photo de lui le mettant en scène le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du Travail, Olivier Dussopt, qui défend la réforme.
La France est certes républicaine, mais il y a des limites. Hormis quelques-uns à gauche, notamment chez les Insoumis, elle préfère enjamber la Terreur, ces années révolutionnaires où les têtes tombaient comme des pommes à cidre.
Pas de bol pour les Insoumis: la provoc de leur collègue Thomas Portes, une chose en remplaçant une autre, ferait presque oublier la sanction de même ordre dont écopa en novembre dernier un député Rassemblement national. Grégoire de Fournas, c’est lui, s’était exclamé «qu’il retourne en Afrique» au moment où un élu LFI noir, Carlos Martens Bilongo, intervenait pour s’inquiéter du sort d’un bateau de migrants cherchant à accoster.
«Retourne en Afrique!»: les élus français sont aussi ridicules qu’inefficaces
Stratèges en «bordélisation»
Jeudi dernier, le jour où le député Portes publiait son tweet le pied sur la «tête» du ministre Dussopt, Jean-Luc Mélenchon, invité de BFMTV pour un spécial «réformes des retraites», a quitté le plateau avant la fin. L’animateur avait gardé un sujet «Adrien Quatennens» pour le dessert, auquel le père des Insoumis, protecteur du député Quatennens, condamné pour avoir donné une gifle à sa femme, n’a pas du tout goûté. Il s’est alors livré à une mise en accusation-victimisation dont il est coutumier, qui a l’avantage de lui rapporter des voix parmi ceux qui pestent contre le «parti des médias», mais qui a le désavantage de sonner faux aux oreilles de beaucoup.
Hystériques, immatures, stratèges en «bordélisation», ainsi apparaissent ou sont décrits par leurs adversaires les Insoumis et leurs alliés de la Nupes, le nom cette gauche parlementaire dont LFI est en principe le fer de lance.
Avec Le Pen, vers un nouvel «en même temps»?
Marine Le Pen, 33,9% au second tour de la présidentielle de 2017, 41,45% en 2022, se dit que la prochaine pourrait être la bonne. Est-elle seulement antisystème, comme s’est longtemps présentée celle qui vient de l’extrême droite? Son intérêt est de ne plus figurer dans ce registre. Opposante à Macron, oui. Alternative à Macron, encore mieux. Res-pec-ta-bi-li-té, cré-di-bi-li-té: telle est la quête, tels sont les mantras de la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale. Marine Le Pen se paie même le luxe de ne pas appeler – du moins pour l’instant – à défiler contre la réforme des retraites, espérant ramasser les marrons la colère.
Seule la guerre en Ukraine, étant donné le récent passé pro-Poutine de la patronne, semble pouvoir la décrédibiliser, mais la guerre peut être longue et l’opinion vouloir sa fin.
Renaissance, le parti présidentiel, s’est empressé de renvoyer dos à dos les députés RN Grégoire de Fournas et LFI Thomas Portes, les sanctionnés de l’Assemblée nationale. Soit, mais dans quatre ans, Emmanuel Macron ne se représentera pas. Le macronisme mourra-t-il avec lui? Retrouvera-t-on alors une gauche face à une droite, une droite face à une gauche? Marine Le Pen sera-t-elle assez «respectable» pour espérer pourvoir l’emporter? Avec Le Pen, vers un nouvel «en même temps»?