Jusqu’à la dernière finale de Ligue des champions, Liverpool était une équipe rock n’roll qui soulevait les foules et tyrannisait les timides. Celle qui reçoit Everton ce lundi (21h) n’est plus que désolation. Pourquoi?
1. Un manager désabusé?
A Liverpool, Jürgen Klopp n’est pas qu’un simple entraîneur. Il a donné à la ville son premier titre depuis 30 ans et en a influencé la destinée. D’une ère industrielle à un tourisme événementiel, l’ex-métropole ouvrière a connu une nouvelle prospérité grâce au foot. «Les Beatles ont sauvé le monde de l’ennui», disait Georges Harrison. Dans un style à lui, en noir et en furie, Jürgen Klopp a rendu le monde plus rock n’roll.
Sauf qu’aujourd’hui, le vieux crooner semble las, un brin désabusé. «Défaite après défaite, Klopp reste immobile, les bras croisés, sans réaction apparente même quand les fans adverses scandent qu’il sera viré demain», observe le chroniqueur du Telegraph. C’est comme si Georges Harrison avait chanté les mains dans les poches.
Des spécialistes du foot anglais le pensent trop conservateur, trop loyal à sa vieille garde pour entreprendre des réformes. Leader de ce boys band déjanté depuis huit ans, Klopp a remporté une Ligue des champions et disputé deux autres finales. Il a reconquis l’Angleterre et les choeurs d’Anfield. «Avec lui aux commandes, Liverpool aura du mal à affronter les vrais problèmes», redoute l’ancien Mancunien Gary Neville. Mais Klopp nie farouchement:
«Je ne suis pas trop loyal et je n’ai pas peur de privilégier des solutions de rechange… pour autant qu’elles existent»
L’impensable est en passe de se produire: «on» soulève la question de son maintien en poste. «On» ne voit aucune hérésie à licencier l’un des deux meilleurs entraîneurs au monde, doublé d’une rock-star, à la première demi-saison ratée.
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2. Une équipe lessivée?
Fidèle (loyal?) à ses hommes forts, Jürgen Klopp en a peu recruté de nouveaux. Des années à aligner les mêmes joueurs, les mêmes sprints, peuvent partiellement expliquer que Liverpool manque à ce point d’imagination, mais surtout de fraîcheur. C’est le plus frappant: les titulaires semblent cramés de la tête aux pieds.
Cette impression de spleen ne peut pas être totalement dissociée du football rock n’roll, branché sur 10 000 volts, que pratiquent les Reds sous Jürgen Klopp. Les grands soirs, Liverpool fait sauter les GPS dans une débauche d’énergie extravagante, si obscène que la brigade antidopage s’y est intéressée de près.
Il est moins question ici de condition physique que de fougue, de hardiesse, d’intimidation. A force d’assaillir ses adversaires, de les priver du moindre espace, de leur sauter à la gorge avec un «contre-pressing» testostéroné, Liverpool s’est épuisé.
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Alexander-Arnold et Robertson sont le symbole de ce surmenage: pendant des années, les deux latéraux ont couvert tellement de terrain que seule la pluie pouvait s’aligner. Le premier serait en mini-dépression, le deuxième en constante rééducation.
Ils ne sont pas les seuls. Depuis une grave blessure ligamentaire, van Dijk n’a jamais retrouvé son invincibilité dans les un-contre-un. Jota et Diaz sont à l’arrêt depuis octobre. Henderson n’avance plus. Fabinho semble perdu. Davantage qu’un électrochoc, Liverpool semble avoir besoin de repos. Ou alors une doublure de haut niveau à chaque poste, comme le fait Manchester City auquel il est obstinément, un peu sottement, comparé.
3. Un club traumatisé?
Personne ne semble s’attarder sur cette analyse. Personne ne saura jamais à quel point les événements du Stade de France ont touché à l’inconscient collectif du FC Liverpool. Seule certitude: n’importe quel joueur de n’importe quelle provenance, quand il arrive au club, est imprégné de ce que l’on appelle solennellement aujourd’hui «La catastrophe d’Hillsborough». Une tragédie dont la police vient tout juste d’endosser officiellement la responsabilité, plus de 33 ans après – c’est dire si l’affaire n’est pas réglée – et que les mouvements de foule du Stade de France ont immédiatement rappelé.
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Le problème est-il sous-estimé? Toujours est-il que depuis la finale de Paris (défaite 1-0 contre le Real Madrid), Liverpool n’est jamais redevenu lui-même, ni pendant, ni après. Des articles de presse suggèrent que certains joueurs ont pu s’angoisser pour leur famille refoulée aux portiques, sinon pour leurs supporters sauvagement agressés, et que la peur n’a pas disparu. Le poids du souvenir sur le football allègre et impétueux des Reds reste un mystère. Un mystère dont personne n’a manifestement envie de parler.
4. Une star éteinte?
Il s’est passé quelque chose, mais quoi? Depuis le printemps dernier, c’est comme si Mohamed Salah trainait une mauvaise grippe d’un bout à l’autre du camp adverse. Pâle, lent et indolent, la jovialité patraque, extradé sur une aile droite où il ne représente aucun danger, l’ex-meilleur buteur d’Angleterre est devenu un attaquant ordinaire.
Le point de bascule est facile à situer mais il subsiste un doute sur les raisons. Une défaite aux tirs au but en finale de la Coupe d’Afrique? Une qualification ratée de justesse pour la Coupe du monde? Un nouveau contrat de longue durée à 400 000 francs par semaine? Un peu tout?
Ceux qui attribuent la solitude de Salah au départ précipité de Sadio Mané (Bayern Munich) n’ont probablement jamais vu un match de Liverpool. Mané n’était ni le larbin, ni le confident de Salah. Le problème est ailleurs. Mais où?
5. Des transferts ratés?
Liverpool a dépensé 80 millions d’euros pour le buteur uruguayen Darwin Nunez, dont le ratio d’occasions ratées est à ce jour inégalé en Europe. Cet hiver, les Reds ont encore lâché 42 millions d’euros pour le Néerlandais Cody Gakpo, 23 ans, qui n’a toujours pas marqué. Mais peut-être n’est-ce qu’une question de temps. Et plus encore de tempo.